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Université Paris V - Sorbonne Maîtrise d'Anthropologie sociale et culturelle
Le tir à l'arc : Etude socio-ethnographique d'un groupe d'archers de la banlieue parisienne
par Mireille DIDRIT
Directeur de mémoire: Pierre PARLEBAS Codirecteurs: Claude RIVIÈRE et Zakaria JERIDI septembre 1996
Lobjet de ce mémoire est détudier un groupe darchers situé dans la banlieue ouest de Paris - celui que constitue " le club de tir à larc de Saint-Cloud ". Il rassemble des gens très différents par leurs motivations, tels que des chevaliers darc, des sportifs de haut niveau ou de simples amateurs. Comme dans nimporte quelle société où des individus choisissent de passer une part du temps de leur existence, des liens sociaux variés et complexes y sont tissés, dont lenjeu est entre autres la plus ou moins grande cohérence du groupe. Nous essaierons de les décrire sociologiquement avec le plus possible de détails significatifs, en alliant toutes les autres méthodes sociologiques à notre disposition qui seraient susceptibles de nous aider à rendre compte de cette mini-société: interviews, méthode ethnographique, statistiques, exploitations de documents, etc.
Nous verrons comme deux pratiques du tir à larc opposées coéxistent dans le club: une pratique populaire, traditionnelle, basée sur les rites anciens de la chevalerie dont le but est la socialisation de larcher dans le groupe, et une pratique bourgeoise complètement différente, individualisée, lié un imaginaire qui mêle les références et le symbolisme antiques à lesthétique du geste du tireur, et qui recherche avant tout dans ce loisir un sport de nature original, qui sorte le citadin de sa grisaille urbaine.
Mais avant daller plus loin, tout dabord, quelques éléments dhistoire du tir à larc. Linvention de larc remonte loin dans le temps. Comme lécrit un toxophile réputé, Robert HARDY, il était vraisemblablement utilisé dans toutes les régions du monde, de lAsie à lAmérique, en bois ou en corne selon les ressources de lendroit. Les fouilles archéologiques ont montré que des arcs en bois existaient déjà au quarantième millénaire avant notre ère. Les gestes du tireur à travers les époques et les pays ont peu varié. Larc a dabord été inventé pour la chasse. Mais lusage de larc est rapidement devenu militaire. Larc est une arme redoutable qui peut transpercer toutes les cuirasses sous la puissance et la précision du tir. Dans lEurope médiévale il a eu un rôle déterminant dans la défense du territoire. Des compagnies darchers entraînées et disciplinées donnent plusieurs fois lavantage aux Anglais pendant la Guerre de Cent Ans. Ce sont des paysans et des serfs qui en font partie, aussi bien en Angleterre quen France. La dimension collective autour de la pratique du tir à larc est dès lors essentielle. Quand cette arme deviendra obsolète au XVIème siècle, des archers continueront de se réunir entre eux pour pratiquer le tir à larc comme une activité de loisir, un sport.
A partir du XVIIème siècle, les compagnies darc rassemblent tous ceux qui pratiquent le tir à larc régulièrement. Elles tendent à devenir des lieux de réjouissance et de plaisirs, agrémentés de fêtes somptueuses. La " chevalerie " darc prend de lenvergure, regroupant en son sein des archers spécialement initiés et engagés dans larcherie. Ils sont " francs-archers ", contemporains des francs-maçons, leurs concurrents dans une course à la distinction sociale. Aujourdhui, les compagnies et les clubs comprennent souvent des chevaliers, mais ceux-ci doivent cohabiter avec des archers qui sont venus au tir à larc sans être introduits à la chevalerie darc, autrement dit qui ont une pratique moderne de ce sport mais qui ignorent totalement ces traditions. Pour cette raison, la chevalerie darc a dû se redéfinir. Les chevaliers se veulent en principe transmetteurs de la tradition et des coutumes darcherie, mais aussi se considèrent comme investis dune mission morale dans la société où ils vivent.
Trois hypothèses
Le tir à larc possède en Europe, et particulièrement en France et en Grande-Bretagne, des racines culturelles profondes, et un passé historique riche de personnages légendaires: Robin des Bois, Guillaume Tell (à larbalète), défenseurs des opprimés, nen sont pas les moins célèbres. Au Moyen Âge, larc était effectivement larme des petites gens, au point den devenir leur symbole, leur attribut. Malgré toutes les révolutions, le présent reste le fruit du passé: quen est-il pour le tir à larc? On peut se demander si les archers daujourdhui ressemblent à ceux dhier, sils nauraient pas tendance à appartenir plutôt aux classes populaire et à peu représenter les classes moyennes et supérieures. Il est difficile de déterminer objectivement la classe sociale de quelquun, on ne peut parler de classes sociales que pour un groupe, mais quelques signes devraient donner une esquisse de réponse: la catégorie socioprofessionnelle, les attitudes et les motivations des archers montreront sil y a lieu une certaine continuité sociale.
Deuxièmement, les compagnies darchers ont pris naissance dans les bourgs médiévaux. On peut croire que depuis le début, et de nos jours, la constitution des compagnies nest pas étrangère au phénomène urbain. Dans la ville se tissent des réseaux de rencontre spécifiques, dont lutilité ne fait que grandir avec lextension urbaine. La chevalerie darc avec son traditionalisme et sa convivialité satisfait un besoin de communication et de chaleur, comme une grande " famille " (ce terme est dailleurs utilisé pour désigner un ensemble de compagnies dune même région). On peut voir dans les compagnies une forme de sociabilité développée depuis le Moyen Âge avec les corporations mais en ayant aujourdhui les caractéristiques de la modernité dans les agglomérations urbaines. Cest ce que cette deuxième hypothèse tentera de vérifier.
Troisièmement, il est certain que le goût du public pour le tir à larc a augmenté de façon significative depuis ces trente dernières années. Le tir à larc chevaleresque connaît actuellement un véritable essor, alors quil était presque mourant dans les années 1960. En filigrane, on peut rapprocher ceci dun courant nouveau qui traverse notre société: une recherche de la tradition, de lauthenticité, du naturel, en réaction au temps de la production de masse indifférenciée. Lindividu veut se singulariser autant par les objets quil possède que par sa manière de vivre, ses loisirs... Le tir à larc réunit ces aspects: fort peu médiatisé, cest une pratique ancienne, de plein air, conviviale, au sein dune compagnie; il a tout pour attirer le citadin en mal de rusticité. Nous voudrions développer cette problématique commencée par Jean BAUDRILLART et suivie aujourdhui par Jean-Pierre WARNIER. |